Celle qui forgea Peter Pan
Clochette par Régis Loisel |
Notre Clochette ne s’est
pas toujours appelée ainsi ! Ni Clochette, ni Tinker Bell
d’ailleurs. À la toute origine, James Matthew Barrie l’avait appelée Tippytoe
(littéralement «pointe des pieds») et surnommée Tippy. Finalement, l’auteur lui
donna le nom de Tinker Bell.
Or, «tinker» est une forme archaïque qui désigne
«l’orfèvre» bricoleur, fabriquant de pots, de bouilloires et
casseroles etc. Le terme «tinkle»
signifie tinter, tintinnabuler.
Quant à «tinkler» Holly Golightly nous dit que « Tink(l)er signifie en langage scots une
"bohémienne", une fofolle portée sur "la chose" ou d'humeur
érotique, une vagabonde, une virago, etc. C'est un terme injurieux. En anglais
courant, le mot désigne un rétameur*, un coquin, un mendiant, quelqu'un qui
erre.
*Étamer
[etame] v. tr.
ÉTYM. 1636; s'estamer, v. 1245; de estaim, estain. ? Étain.
1. Recouvrir (un métal) d'une couche d'étain. | On étame le cuivre, la tôle (--> Fer-blanc), la fonte, le zinc pour les préserver de l'oxydation. | Faire étamer une casserole, une marmite de cuivre, de fer battu.
2. Recouvrir (la face interne d'une glace*) d'un amalgame d'étain et de mercure (--> Tain).
ÉTYM. 1636; s'estamer, v. 1245; de estaim, estain. ? Étain.
1. Recouvrir (un métal) d'une couche d'étain. | On étame le cuivre, la tôle (--> Fer-blanc), la fonte, le zinc pour les préserver de l'oxydation. | Faire étamer une casserole, une marmite de cuivre, de fer battu.
2. Recouvrir (la face interne d'une glace*) d'un amalgame d'étain et de mercure (--> Tain).
Le Grand Robert »
Voilà qui explique clairement la nouvelle direction que Disney a donné à sa petite fée ! Malheureusement, son caractère qui avait déjà pris un bon coup de fer en 1953 a subi un essorage drastique.
Etameur d'Orcines dans le Puy-de-Dôme |
Quant à Bell, la «cloche»,
la «sonnette », on peut y voir une nouvelle allusion au carillon, au tintement que la fée
produit pour s’exprimer. Et l'on pourrait discuter très longtemps des nombreuses et riches symboliques qui accompagnent la cloche, ce chaudron renversé qui appelle le fidèle...
En français, Tinker Bell
a d'abord été traduit par Tinn-Tamm. Outre la tentative
d'approcher le nom "tintant" de Tinker Bell et l'allitération en "t"
de Tippytoe, je me demande si les traducteurs n'ont pas cherché à s'approcher du
terme tinker – qui sous-entend donc un travail manuel en lien avec le
métal et le bruit suivant inévitablement le tinkler, le rétameur,
partout où il trimbale ses marchandises – en s'inspirant du mot "tintamarre".
Terme qui selon Pasquier "tirerait son origine du Wallon titamâr, "tinte
à marre", les vignerons ayant
l'habitude de s'avertir au loin en tintant ou frappant sur le fer de leurs *marres."
*la marre désignant un outil agricole, une pelle large et courbée semblable
à une houe.
Mais il ne s'agit là que d'une tentative d'interprétation de ma part à prendre avec des pincettes !
Image du court métrage de Nicolas Duval inspiré de Loisel |
Lors du précédent article, nous avions vu que l'histoire de Peter Pan et Wendy s'était avant tout jouée sur scène. Comment donc interpréter un lumineux esprit
élémentaire, une fée décrite comme minuscule et capable d'illuminer une chambre
d'enfant ?? Grâce à un très ingénieux système de miroirs soumis à un fort
éclairage et au son gracieux de quelques clochettes, un orbe lumineux se déplaçait
partout à la suite de Peter. De la lumière et du son…Existe-t-il manière plus
juste d'interpréter une fée ? Cependant, J.M. Barrie donne une forme physique à
Tinker Bell, créature miniature qu'il affuble même d'une délicieuse "tendance
à l'embonpoint" !
Estampe de Loisel |
Si aujourd'hui nous nous représentons aisément les fées comme des petits
êtres ailés, espiègles et colorés, cette image est d'abord issue d'une longue tradition
anglo-saxonne, écossaise et irlandaise. Nos fées jusqu'alors étaient plus proches des
grandes fées-marraines que nous croisions dans Cendrillon, ou Pinocchio. Je
vous propose d'effleurer ce vaste sujet en explorant d'un peu plus près l'œuvre
de J.M. Barrie.
« Quand le premier bébé a ri pour la
première fois, son rire s’est brisé en mille morceaux, ils ont rebondi en tous sens,
et c’était le début des fées. » J.M. Barrie, Peter & Wendy
Illustration de Robert Ingpen |
J.M Barrie dessine avec poésie une mythologie de l’Enfance
absolument indissociable de l’univers des fées. La sentence est très
claire : “Chaque fois
qu'un enfant dit: «Je ne crois pas aux fées», il y a quelque part une
petite fée qui meurt.” J.M. Barrie, Peter & Wendy.
Ce lien indéfectible est
directement transposé dans le réel lorsque la pièce de théâtre fait appel au public pour sauver Tinker Bell alors qu’elle boit le poison destiné à Peter. «Si
vous croyez aux fées, applaudissez ! » et c’est le cœur bondissant
que parents et enfants répondent à l’appel pour sauver la fée. Cette implication du
public est clairement empruntée à la pantomime (dont notre l’équivalant français
est Guignol) dont les familles londoniennes sont friandes et habituées.
Mais elle illustre surtout
la profondeur du lien qui unit les enfants aux fées : si une fée peut
apprendre à un enfant à voler, l’enfant a le pouvoir de la faire vivre éternellement.
Comment ? En lui donnant son cœur, rien de moins que cela ! L’enfant
est donc responsable d’elle et d’elles toutes. Voilà qui explique pourquoi Peter ne peut pas aimer, selon toute apparence...Et qui explique la définition même que Barrie fait des enfants :
« -Maintenant, je suis une grande personne, ma chérie. Quand on grandit, on désapprend à voler.
-Pourquoi désapprend-on ?-Parce qu'on n'est plus assez joyeux, innocent et sans cœur. Seuls les sans-cœur joyeux et innocents savent voler.» Peter & Wendy.
L'amour est l'antidote, le véritable passage vers le monde adulte... C'est également la raison pour laquelle Clochette s'y oppose de toutes ses forces.
Cette notion d’échange et d’interdépendance entre les deux mondes n’est pas tout à fait nouvelle, Barrie s’empare là du fond légendaire celtique.
« -Maintenant, je suis une grande personne, ma chérie. Quand on grandit, on désapprend à voler.
-Pourquoi désapprend-on ?-Parce qu'on n'est plus assez joyeux, innocent et sans cœur. Seuls les sans-cœur joyeux et innocents savent voler.» Peter & Wendy.
L'amour est l'antidote, le véritable passage vers le monde adulte... C'est également la raison pour laquelle Clochette s'y oppose de toutes ses forces.
Cette notion d’échange et d’interdépendance entre les deux mondes n’est pas tout à fait nouvelle, Barrie s’empare là du fond légendaire celtique.
Thème brillamment revisité dans "Le Château Ambulant" |
Rappelons que James Barrie est écossais, imprégné du
climat légendaire de son pays. Mais il a également hérité de toute la richesse
littéraire anglaise. Il se passionne pour Walter Scott et Shakespeare. Il fonde
même une troupe amateur au cours de ses années d’études à Glasgow. La création
de Never Never Land, de Peter et de Tinker Bell n’est pas étrangère à cette
influence.
« Tantôt elle galope sur le nez d'un solliciteur, et vite il rêve qu'il flaire une place ; tantôt elle vient avec la queue d'un cochon de la dîme chatouiller la narine d'un curé endormi, et vite il rêve d'un autre bénéfice ; tantôt elle passe sur le cou d'un soldat, et alors il rêve de gorges ennemies coupées, de brèches, d'embuscades, de lames espagnoles, de rasades profondes de cinq brasses, et puis de tambours battant à son oreille ; sur quoi il tressaille, s'éveille, et, ainsi alarmé, jure une prière ou deux, et se rendort. C'est cette même Mab qui, la nuit, tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces nœuds magiques qu'on ne peut débrouiller sans encourir malheur. C'est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure. C'est elle...»
Extrait de la tirade de la reine Mab, Roméo & Juliette, Shakespeare.
Il y a bien sûr énormément à dire sur cet extrait. Il existe beaucoup de lectures possibles de la tirade de
la Reine Mab et de Peter Pan. Le but n’étant pas ici de faire un parallèle entre la drogue, l’absinthe et la poudre de fée. Parallèles certes aisés mais
qui, il me semble, étriquent Tinker Bell et la relèguent au rôle de simple
métaphore.
Tinker Bell précède tout cela et de très loin, c’est elle
l’inspiratrice et c’est précisément ce que scande le fabuleux Mercutio, Mercure
qui rêve d’ailes, qui rêve d’Elle sans jamais l’atteindre quelle que soit la
tournure de sa folie ou l’intensité de son âme.
Tinker Bell n'est pas tant le moyen
de voler que celle qui nous pousse à vouloir voler, l'étoile à atteindre, superbe
et terrible, c'est elle. C'est elle... Elle qui a attiré Peter loin du
berceau.
Image extraite du film "Hook" |
Mab, présentée comme une minuscule reine de Faërie est
elle-même issue de créatures très anciennes et chères aux irlandais, aux écossais
et aux anglais : les Pillywiggins.
Illustration d'Arthur Rackham pour "Peter Pan dans les jardins de Kensigton" |
Les fées du parc de Kensington
telles que nous les décrit Barrie dans "Peter Pan dans les jardins de
Kensington" appartiennent très clairement à cette catégorie de fées décrites par Pierre Dubois dans son Encyclopédie des Fées : "les
plus minuscules : un centimètre. Mais tous ont le pouvoir de rapetisser encore,
ou de grandir, de changer de taille et d'aspect (capacité reprise dans Hook
soit dit en passant !) […] Les Fairies, Vairies, Pillywiggins aussi bien
féminins que masculins sont merveilleusement beaux. Leurs mariages avec les
libellules, les papillons les ont pourvus d'ailes, d'antennules et de diverses
autres parties qu'ils arborent comme d'élégantes pièces d'armures naturelles."
Etude préparatoire pour Clochette, Studios Disney |
Clochette appartiendrait donc à cette famille de fées bien qu'elle semble emprunter au caractère beaucoup
plus ombrageux des Pixies... "Son nom sonne comme un sobriquet,
évoque la vivacité "maligne"…Il y a de l'espièglerie et de la cruauté
dans ce lutin nuisible des prairies et des moors […] Il vole, pince les
dormeurs, bouscule les faneurs et jette les filles au beau milieu des mares."
Pierre Dubois, Encyclopédie des Lutins. Et oui, rappelons au passage que le nom même de Tinker Bell la rapproche davantage du feu et du métal que du végétal. À noter tout de même que dans certains contes,
les minuscules Pixies à bonnet rouge unissent leurs efforts en sautant par-dessus
le nez d'une enfant endormie pour lui tricoter de jolis rêves. À l'image de la fée, ils présentent tantôt un caractère "entièrement mauvais" tantôt "entièrement bon".
Tinker Bell par Brian Froud |
Shakespeare aborde un autre aspect de la fée Mab qu’il
désigne comme une «accoucheuse» qui «habitue» les futures mères à supporter le
poids de l’enfant grandissant dans leur ventre en les écrasant de son poids
lorsqu’elles sont allongées ! Ambivalence de cette fée dont on sent
poindre la jalousie, ne pouvant elle-même porter d’enfant…Elle envoie
le Changeling, cet enfant-fé vieux et difforme, que les fées plaçaient dans
les berceaux à la place du joli nouveau-né enlevé et élevé au pays d’Elfirie.
Longtemps les gens ont suspendu certaines fleurs, objets en fer et autres crucifix au-dessus du berceau des enfançons,
craignant un rapt organisé par les fées.
The Changeling, Füssli, 1780 |
On voit clairement se dessiner l’enlèvement des
enfants Darling par Peter, enfant lui-même cueilli au berceau par la fée Tinker
Bell qui l’élève et le pousse à poursuivre son œuvre. Ce, probablement
afin d’alimenter le feu qui anime Never Land et qui ne doit jamais, jamais
s’éteindre…Quittes à ce qu’elle ingurgite elle-même le poison, et paie le
tribut de sa propre vie. Ce qui finit d’ailleurs par se produire et la peine
est double : un an après que les Darling n’aient rejoint leur foyer
accompagnés des Enfants Perdus, Tink disparaît…Et Peter, enfant de l'éternel
présent, l’oublie.
Images issues du film "Peter Pan" sorti en 2003 |
Peter est l’œuvre de Tinker Bell, son don
et son amour, la garantie ultime à l’existence de Never Never Land, quittes à
ce qu’il l'oublie…et demeure à jamais l'âme joyeuse d'une prison d'air.
Sources Livresques :
Peter & Wendy, J.M. Barrie
Peter Pan dans les jardins de Kensington, J.M Barrie
Peter Pan, Régis Loisel
Peter Pan dans les jardins de Kensington, J.M Barrie
Peter Pan, Régis Loisel
The Disney Heepsakes, Robert Fieman
Romeo et Juliette, Shakespeare
Légendes rustiques, George Sand
L'Encyclopédie des fées, Pierre Dubois
L'Encyclopédie des lutins, Pierre Dubois
Légendes rustiques, George Sand
L'Encyclopédie des fées, Pierre Dubois
L'Encyclopédie des lutins, Pierre Dubois
Sources cinématographiques :
Peter Pan, Nicolas Duval, 2015
Le Château Ambulant, Miyazaki, 2004
Peter Pan, P.J. Hogan, 2003
http://www.fairiesworld.com/tinkerbell1.shtml
(Myrea Pettit)
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